À mesure qu’on progresse dans l’itinéraire de notre vie, je constate parmi nos comparses millénariaux un penchant croissant pour la nostalgie.
Je n’échappe pas à cette propension, étant moi-même abonné à toutes les pages faisant revivre les trésors du passé, ces souvenirs des années 90-00 qui nous ont façonnés.
Les commentaires sous les publications traduisent souvent des voix souhaitant revenir à cette époque. À un temps supposément plus simple et chaleureux avant l’emprise de l’écran sur l’humain.
Parfois, je me vois encore rentrer chez moi à la tombée des classes, après de longues minutes à traîner en face de l’école primaire.
Juste à temps pour suivre les intrigues enlevantes des Cités d’Or, en rêvant de survoler les Andes à bord du Grand Condor.
Je m’ennuie de la lenteur des journées, de la liberté de m’ennuyer sans être soumis aux dictats de l’instantané.
J’aime les émissions de ma jeunesse, les jeux et les ruelles où se forgeaient les amitiés passées.
Même aujourd’hui, mes listes musicales sont fortement teintées d’une odeur de nostalgie. Mais, dès que le rêve me leurre à revivre cette période, ma conscience me ramène à la réalité.
Je me souviendrai toujours de cette journée à l’école primaire. Pour des raisons qui m’échappent depuis, nous avions la bonne idée de comparer nos ethnicités...
Couleur banane, couleur vanille, couleur charbon... Un exercice aberrant qui permit à l’enseignant(e) de lancer à la blague à un élève afro-descendant: “Et ta queue en bas, elle est noire aussi?”.
Pris de cours par cette question, l’élève répondit “Non!”. C’est ainsi que, durant les prochains jours, il fut l’objet de moqueries, devenant “le Noir ayant un pénis blanc”.
Je n’oublierai pas ces débats insensés à l’aube de la légalisation du mariage gai. “Les homosexuels devraient-ils avoir une place dans notre société?”. Tel était le sujet d’une vraie discussion en classe. Rien de moins!
Comme si l’existence d’êtres humains était matière à débat. Et la voix dominante clamait “NON! Ya pas de place pour eux!”.
Que dire des cours d’histoire-géo, dont le récit commençait le jour où un explorateur français planta une croix à Gaspé, reléguant à quelques lignes les peuples autochtones qui étaient ici bien avant.
Lorsque l’enseignant(e) nous demanda si nous pensions que l’Amérique ne se serait développée qu’avec l’arrivée des Blancs, un élève lui répondit sans broncher : “Il doit bien y avoir une race supérieure!”.
Nous étudiâmes ainsi les ruses et l’ingéniosité des conquistadors, qui purent en nombre inférieur soumettre des populations entières. Des histoires de bravoure et d’audace, sans mettre en lumière les actes génocidaires.
Une trame narrative qui rendait bien fiers mes camarades. Il y en a un qui s’est même permis de m’apostropher en disant : “Vous les Chinois (je suis Vietnamien), c’est beau votre papier pis votre poudre à canon, mais sans nous les Blancs, il n’y aurait pas de civilisation!”.
Lors d’un cours sur la Seconde Guerre mondiale, où nous revisitions les combats sanglants au large du Pacifique, quelques élèves s’amusaient à imaginer toutes les femmes que les soldats auraient pu scorer.
Un comique dans la salle en profita pour s’écrier : “Nah! Pas pour moi ça! Les filles tropicales, c’est sûrement remplies de bibittes”. HAHAHAHA! Les élèves explosèrent de rire!
“Bon, bon, bon!”. Après plusieurs minutes, l'enseignant(e) finit par intervenir, sourire en coin, sans jamais fermement les recadrer.
Grandir en étant Asiatique durant ces années, c’était souvent renier sa langue, refouler son héritage. Serrer les nouilles et les baguettes pour les sandwichs jambon-fromage. Pour faire comme les autres. Pour s’effacer dans la masse.
Ah! Les jeunes sont si mous aujourd’hui! On ne peut plus rien dire! Faire de blagues comme dans le vieux temps où l’on pouvait blesser impunément.
Quand ma nostalgie me ramène vers le passé, je repense à la souffrance des personnes marginalisées, qui durent subir en silence tous les ragots de ces idiots qui rejettent leur existence.
En dépit de leurs failles, les réseaux sociaux offrent pour beaucoup un lieu de réconfort, de partage et d’entraide. Une force en nombre pouvant engendrer des mouvements, qui deviennent des vecteurs de changement.
Nous, qui sommes assez privilégiés pour pouvoir regretter des pans du passé, ne devons jamais oublier tous les progrès réalisés depuis.
Car ces gains, que nous tenons pour acquis aujourd’hui, ont été obtenus après de longues luttes durant lesquelles trop de braves âmes ont dû payer un prix personnel. Pour notre bien-être collectif.
Continuons la bataille, pour ne jamais retomber en arrière, dans un monde où les injustices qu’elles ont combattues persisteraient encore.