D’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours envié les amis journalistes. Les chroniqueurs d’affaires publiques pouvant produire avant la nuit un billet bien ramassé des enjeux politiques de la journée. Les journalistes sportifs qui parviennent à pondre, une fois la rondelle à peine rangée, quelque 1 200 mots sur les décisions controversées et les trios qui n’ont pas marché.
Je tiens particulièrement en estime quelqu’un comme Maude Goyer, qui arrive à couvrir une expo de robots à l’autre bout de l’Atlantique, tout en trouvant le temps, entre deux chroniques radiophoniques, de rédiger sur le bonheur, la parentalité et que sais-je, avant de participer à des débats endiablés à la télé. Je ne peux qu’être impressionné par ce rythme effréné pendant que je me torture à terminer ce deuxième paragraphe que je n’arrive à boucler.
En 35 ans de vécu, je n’ai pu encore identifier, pas par faute d’essayer, une seule activité pouvant m’infliger l’ivresse momentanée que me procure l’écriture. L’euphorie passagère provoquée par la trouvaille d’un enchaînement lyrique où l’intention des mots trouve à point son atterrissage poétique. Le seul exercice qui peut obtenir de ce underachiever routinier le meilleur (et le pire) de lui-même. Est-ce un don ou une malédiction ?
Quand ma plume prend ses ailes, je me sens béni d’une touche infaillible pour enchaîner les lignes, poser les syllabes qui s’accordent harmonieusement. L’espace d’un instant, je plane sur un nuage survolant tout obstacle entre le ciel et la terre. Donnez-moi les chroniques, offrez-moi les tribunes pour que je puisse propager mes œuvres symphoniques.
Mais plus haute l’envolée, plus aride la descente. Pendant que l’ego s’abreuve encore de ses derniers succès, l’inspiration s’arrête brusquement, sans avertissement. La grande panne sèche durant laquelle placer chaque lettre devant l’autre devient une longue marche vers l’Everest. Une spirale interminable d’amertume et d’échecs.
Dans ces moments, il m’est arrivé de chercher des alliés réconfortants. Pourquoi me résigner à la solitude alors que d’autres, beaucoup plus grands, ont choisi d’être accompagnés ? Le scotch pour Ernest, le valium pour Marshall. Comment ces génies tourmentés parviennent-ils à produire dans le chagrin leurs plus belles lignes ? Lorsque je broyais du noir derrière les rideaux à l’ombre de la lumière, la détresse en moi ne m’inspirait que vacuité et sécheresse.
Le jour d’après, une fois les dernières lettres apposées, l’on espère que tout l’effort déployé puisse trouver sa destination désirée. Car nous, les plumes sans nom, qui ne bénéficions d’aucune prime de notoriété, devons affronter l’indifférence en plus de l’insécurité. Surmonter le jugement prématuré des personnalités qui ne se donnent même pas la peine de nous regarder. Tout en sachant bien que le jour où nous obtiendrons un brin de popularité, ceux qui nous ont méprisés reviendront nous dire qu’ils nous avaient toujours appréciés.
J’ai (récemment) choisi cette vie. Je ne suis pas à plaindre. L’opportunité de vivre par la plume m’allume autant qu’elle m’angoisse. J’ai enfin investi les réseaux que j’avais longtemps ignorés, infiltré les univers où d’autres pratiquent leurs poses, pour chercher un lieu où je pourrais étaler ma prose. En attendant le moment où mon art sera estimé, mes doigts s’exercent chaque jour au clavier pour pratiquer les arpèges et les gammes routiniers. Une lettre à la fois, à la recherche de l’accord parfait. Rien de plus à demander pour quelqu’un qui vit de ses mots.